Une Himp probable épopée Saison 2
<NOUVEL EPISODE TÉLÉCHARGEABLE EN PDF>
-CHAPITRE VII-
Les lames semblables à des montagnes liquides s’élevaient, sombres et mortellement, silencieuses, déformant la mer noire et menaçant à chaque instant d’engloutir l’humble embarcation de fortune qui flottait, tel un fétu de paille.
Zgavier, expert malgré lui dans l’art du naufrage, était parvenu à confectionner un radeau de fortune à l’aide d’un tonneau et de quelques bribes de la galère qui gisait sans doute désormais sur les haut-fonds. Le conquérant y avait hissé son frère, encore tout étourdi de sa mise à l'eau forcée et, serrant les dents, maudissant la mer, avec laquelle, il était écrit qu’il ne ferait jamais bon ménage… Il était également parvenu miraculeusement à sauver du naufrage, comme son plus précieux trésor, l'épée d'acier bleutée qu'il avait solidement arrimée au radeau. Il s'était cependant résigné à se débarrasser de sa cotte de maille qui menaçait par son poids de l'entraîner vers le fond.
« C'est tout de même malheureux ! Un si beau produit de l'artisanat Cimmérien... »
Le courant poussait loin du lieu du naufrage leur frêle esquif et cela faisait déjà bien longtemps que Zgavier n’entendait plus les voix fortes et hardies de ses compagnons de rame. Des nuages monstrueux s’amoncelaient dans le ciel, bien décidés à étouffer la moindre lueur astrale susceptible de venir en aide aux naufragés. Le vent se mit à souffler en tempête.
Himp, prostré, telle la plus pitoyable des descente de lit semblait totalement indifférent aux éléments, tous plus sadiques les uns que les autres et qui avaient décidé de s’unir contre le minable radeau ...
Le cœur des hommes s’étreint d’universelle façon lorsqu’il est confronté au visage hideux de la mort. Et, tous balbutient les mêmes paroles que la terreur s’amuse à leur inspirer. Et, Zgavier, les cheveux plaqués sur des yeux gonflés de sel, les muscles tétanisés par le froid ne fit pas exception :
« Par Crom… Si on s’en sort… Je fais la promesse solennelle de faire pénitence... Je ferai un pèlerinage Temple de Tarantia. Je mènerai une vie plus vertueuse... Parole d’Aquilonien, je ne toucherai plus à une femme de petite vertu, je ne boirai plus une goutte d’alc... Heu... quoique... à la réflexion, le pèlerinage pourrait suffire, non ? Je Bloub... »
Si les vagues précédentes étaient des montagnes, celle qui venait de submerger l’embarcation était l’équivalent liquide de la montagne de Khoraja. Implacablement, elle noya les dernières paroles de Zgavier (ce qui, il fallait en convenir, n’était pas une grande perte) et balaya de la surface de l’océan toute trace de la galère et de ses infortunés occupants.
- - -
Ce matin, la plage de Trabinia, nichée au nord de l'anse d'Agsaluns au, sable dorée et caressée par des vaguelettes aussi transparentes que paresseuses offrait un banquet inespéré pour les huîtriers-pies et autres chevaliers gambettes qui, d'un dandinement affairé fouillaient d'un bec précis ce que la tempête de la nuit avait rejeté sur la grève.
Une aigrette blanche s'était perchée coquettement sur un petit monticule. Cet emplacement stratégique lui laissait tout loisir de toiser d'un air supérieur les autres échassiers. En outre, l'heureux volatile s'était avisé qu'en grattant les paillettes d'or, le promontoire sur lequel elle était juchée n'était autre qu'une immense réserve de chair brune...
Mais la fortune de l'oiseau tourna rapidement quand celui-ci hasarda un coup de bec en direction de la manne charnue placée sous ses pattes...
Sans aucun égard pour la délicate créature, un coup de battoir bien senti envoya valser au loin l'aigrette qui s'en fut non sans vociférer de copieuses insultes en direction de l’opportun. Zgavier s'assit péniblement s'assit sur le sable. Malgré sa peau brune et ses fréquents séjours en des contrées plus arides, le conquérant ne tarda pas à souffrir des morsures du soleil oriental qui dardait de ses rayons les plus vicieux ses larges épaules.
Crom veille toujours aux plus malins de ses enfants. Aussi, Zgavier eut le bonheur de trouver une outre d’eau claire qui, à défaut de l’abreuver de façon convenable, eut le mérite de tenir écarté de lui le spectre décharné de la déshydratation.
« Himp... par tous les démons de la Stygie, où te caches tu donc petit frère ? Où as-tu planqué ton museau ? »
Le soleil, désormais haut dans le ciel, frappa de ses rayons la boucle métallique d’une ceinture. Le regard perçant du conquérant fut immédiatement attiré par l’objet. Quel soulagement de constater que la ceinture faisait le tour d’un corps qui non seulement était complet mais qui était animé du sain mouvement de la respiration ! Quelle joie de reconnaître le dessin ridicule de la boucle en forme de fleur que Himp s’entêtait à porter depuis son adolescence, faisant preuve d’une résistance admirable face à toutes les moqueries et quolibets que la fleur de métal avait attiré sur celui qui la portait !
« Mon vieux pi... Heu... Himp... Je n’aurais jamais cru être aussi content de revoir ta tête d’érudit ahuri ! »
Zgavier, secouait son frère autant par affection fraternelle que pour obéir à son vieil instinct d’aventurier qui lui commandait de vider les poches de toute personne inconsciente en sa présence. Le regard vitreux du jeune prêtre rivalisait d’intelligence avec celui d’un bœuf drogué promis à l’abattoir.
« ...en Ophirien classique, les verbes du troisième groupe doivent être chuchotés de crainte d’appeler la malédiction d'Al'Kiir sur celui qui les prononce... Je.. . »
La tête de Himp retomba mollement sur le sable, sans que le jeune homme, d’habitude si soigné, ne s’offusque du fait que sa blonde chevelure trempait désormais dans les débris de poissons et les algues puantes qui constituaient la laisse de mer.
« Ho, c’est pas l’heure de la sieste ! Himp, remue toi ! »
Peine perdue, le prêtre, aussi confortablement installé que si il avait été blotti dans un recoin douillet d’une des ailes de la bibliothèque de Tarantia, bavait béatement sur la carapace à demi putréfiée d’un crabe de roche. Tentant le tout pour le tout, Zgavier employa les grands moyens afin de tirer son frère de sa léthargie.
« Himp, tu es le plus minable étudiant que l’Aquilonie a engendré ! Comment peux tu ignorer que ce ne sont pas les verbes du second groupe qui... heu... que... »
Il y avait deux raisons au subit tarissement du torrent de mots cinglants que le conquérant avait eu l’intention de déverser dans les oreilles (dont les lobes commençaient à rougir sérieusement sous l’effet conjugué du sel et du soleil de midi) de son frère. Tout d’abord il fallait bien le reconnaître, Zgavier, ne possédait absolument aucune notion de paléographie Ophirienne antique, aussi aurait-il été bien en peine de poursuivre dans cette voie. Ensuite, existe-t-il un moyen de continuer à dégoiser comme si de rien n’était alors que, après un petit « plop » aussi saugrenu que soudain, la silhouette translucide et bleutée d’un Archichancelier de Mitra était apparue entre les galets ?
L’image du vieil homme, dont les pieds flottaient à cinq pouces du sol, semblait observer depuis déjà un bon moment le conquérant, et le sourire hilare de l’homme de foi en disait long sur les velléités de Zgavier à frayer dans les territoires marécageux de l’érudition sauvage.
« … crr.. Ceci est un message pour le fils de héritier de Mervalène de la famille Montlaurens dont la glorieuse patrie est l'Aquilonie... »
D’énormes gouttes de sueur, dont la naissance n’avait rien à voir avec le soleil (lequel pourtant redoublait d’ardeur et de colère face à l’indifférence que lui opposait le conquérant) commencèrent à couler dans le dos de Zgavier.
« Hum... des Pictes assoiffés de sang... pas de problème... Un Kraken gigantesque... passe encore... Mais tailler le bout de gras avec un des maîtres érudits de Tarantia ? Et sous la forme dite de l’invocation lointaine en plus ? »
Depuis sa plus tendre enfance, cela avait bien représenté une épreuve insurmontable pour le conquérant, qui, détournant le regard de l'Archichancelier remettant de l’ordre dans sa longue barbe blanche, secouait furieusement son frère endormi.
« Himp ! C’est à toi de jouer mon vieux ! Tu peux pas me laisser seul face à l’Archan... face à l’arche... face au barbu tout bleu ! »
Craintivement, Zgavier jeta un coup d’œil en direction de la silhouette qui avait la fâcheuse tendance à trembloter dès que l’Archichancelier se mettait à bouger.
« Jamais aimé cette façon de communiquer... Par Crom... Vieil homme.. Si tu voulais me causer... fallait un peu mouiller ta robe ! »
L’homme leva une main en direction de Zgavier qui vit la bouche bleutée s’agiter sans bruit avant que la voix un peu trop amplifiée de son interlocuteur ne lui parvienne.
« Et en plus il y a du décalage... Pourvu que le vieux héron n’en rajoute pas avec des phrases à rallonge et des mots qui ressemblent à des mille pattes ! »
Jetant un dernier coup d’œil désespéré à Himp, dont les talents d’orateur auraient pu 11enfin servir à quelque chose, Zgavier salua le vieil homme.
« Salut à vous. ! Je me nomme Zgavier, de la maison de Montlaurens. »
Soit l’opérateur de Tarantia était sacrément mauvais, soit une foule de conférence se tenait dans les environs. Quoiqu’il en soit, le flux était exécrable et Zgavier patienta avant d’entendre la réponse du maître.
« Zgavier, membre de la fratrie du jeune Himp,... »
Les craintes concernant le langage alambiqué de l’Archichancelier se virent non seulement confirmées mais solidifiées, voire congelées dans le cerveau tétanisé de Zgavier.
« … Symboles vivants de la lumière divine de Mitra et de la puissance du feu de Crom, tous deux êtes en charge d’une quête sacrée... Vos pas vous ont mené dans la bonne direction... Mais, du but ultime, mille péripéties vous séparent... »
Le bras de l’archichancelier stoppa, figé dans un geste qui airait pu être auguste si l’ensemble n’avait pas été gâché par l’expression de son visage qui s’apparentait de façon troublante avec celle du gourmand qui se réveille au lendemain d’une orgie de pruneaux de Shamar. Zgavier, nerveux, décocha un petit coup de pied au postérieur rebondi de Himp. Si cela n’avait pas eu pour effet de le réveiller, au moins ce petit geste avait procuré un défoulement salutaire au conquérant.
« Ouvre ton esprit et accueille la seconde partie de la
prophétie qui nous a été délivrée… »
Les méninges à la torture, Zgavier tenta de se montrer digne de la solennité de l’instant.
« heu.. Ô grand Archichancelier... Mon noble frère et moi même allons nous rendre aux confins d'Hyboria où, tels des chevaliers de lumière, nous combattrons les... heu... forces obscures... qui désirent asservir et corrompre notre monde... Et après... On rentre à la maison, c’est ça ? »
L’archichancelier se passa la main sur les yeux. Plus il vieillissait et plus il enviait le destin de ses petits camarades devenus de riches marchands ventripotents ou des cadavres à peine moins obèses et qui n’avaient pas sur leurs épaules de telles charges... Il contempla d’un air consterné le malheureux Zgavier qui se tenait face à lui.
« Bon... Je vais t' la jouer courte : Toi et ton frère vous allez me faire le plaisir de décamper direction le désert de Shem au nord du Styx... Attends un peu avant de filer ! Il faudra passer par la cité de Shumir. Pour récupérer l'un des sept Anticythères. Sans guide, vous n’y parviendrez pas !
… N’oubliez pas jeunes Zgavier, Himp, vous être notre seul espoir… Plop... Jeunes Zgavier, Himp, vous êtes notre... Plop... »
- - -
Rien de tel qu'une bonne friction à l'eau de mer pour faire revenir à la vie un prêtre de Mitra tombé dans les pommes... Himp, copieusement aspergé par son frère, se redressa sur son séant.
« La galère! Le Kraken... »
Clignant de s yeux dans la lumière crue et se brûlant les mains en les posant malencontreusement dans le sable que les rayons divins avaient chauffé à blanc toute la matinée, Himp montra une maîtrise et une dignité parfaitement admirables lors de son adaptation sans transition des sombres dangers de l'océan à son séjour sur la grève d'une plage tropicale...
« Youhou! On est en vie frangin! Mitra soit loué!Tarantia bien aimé, tu verras sous peu revenir vers toi tes fils chéris ! »
Douchant l'enthousiasme de son frère, Zgavier se fit grave
« Non pas que je meure d'envie de continuer à risquer ma vie dans une expédition ne comprenant ni trésor à convoiter et ni jolie fille à sauver, mais notre escapade est loin de toucher à sa fin... »
Face au regard innocent et interrogateur de son frère, le conquérant reprit.
« Pendant que tu t'offrais gentiment un bain de soleil, j'ai été obligé de me cogner les élucubrations d'un de tes copains chauves en robe bleue.. »
Si l'effroi avait été une couleur, il est certain qu'il n'aurait pas pu être mieux incarné par celle des prunelles scandalisées du jeune prêtre.
« Mitra tout puissant... L'archichancelier... T'est donc apparu? Mais... Comment cela est il possible ? »
« Ben... Tu sais comment ça se passe... Il m'a parlé...
Je lui ai répondu... Je te jure... J'ai essayé de retenir tout ce qu'il m'a dit, même les mots compliqués que je ne comprenais pas »
Himp contemplait d'un air dégoûté son frère.
« Cinq ans! Ils m'ont fait lanterner cinq longues années avant que je ne puisse espérer porter mes humbles salutations respectueuses au Maître! Soit disant que mon initiation n'était pas complète! Et, voici que ce matin... Mon frère... Mon petit frère qui s'est enfui mener une vie de barbare en Cimmérie discute avec l'archichancelier ! »
Le conquérant contempla d'un œil noir son frère qui gesticulait, inconscient de la furieuse démangeaison qui agitait les énormes poings du conquérant.
« Pas le temps de discuter de protocole! La route est longue et les délires de ton Archi... Maître auront au moins l'avantage de faire passer le temps ! »
Laissant derrière eux les douces volutes de sable dorée, le conquérant fiévreux et le prêtre vexé s'enfoncèrent plus loin dans les terres en ce qu'il leur semblait être la bonne direction.
Le soleil était une boule de feu qui chauffait à blanc un ciel aussi transparent et vaporeux que les voiles des prostituées de Khémi. Le sable moelleux et doré avait peu à peu fait place à une terre rouge et desséchée qui donnait à Himp la désagréable impression de se trouver pile au milieu de l'écuelle démesurée d'un ogre à l'appétit cosmique. Devant lui, évitant avec adresse les touffes hérissées d'épines et de ronces qui palliaient par leur sadisme la peine qu'elles avaient à croître dans cet univers désertique, Zgavier marchait à grands pas.
« Ton grand prêtre m'a parlé d'un des sept Anti... heu... Cytri.... »
« Anticythère ! »
L’interrompit Himp dans un soupir agacé.
« Ouaip c'est ça, par Crom Qu'avez vous donc les érudits à vous gargariser de sons imprononçables pour un larynx normalement constitué! Si tel est votre unique arme à l'encontre du monde, elle est plutôt pitoyable... »
Zgavier ne put s’empêcher de retenir un petit sourire satisfait en contemplant la progression laborieuse de son frère. Décidément, face aux grands espaces dont la sauvagerie et la nature désolée l'enivrait, un citadin tel que Himp ne serait jamais à sa place...
Une sueur glacée gouttait entre les omoplates du jeune prêtre. Par Mitra... Il avait toujours détesté les créatures qui avançaient sournoisement en glissant, en rampant, en cliquetant... Et depuis qu'il avait quitté la plage, Himp avait eu plus que son content de cobras, scorpions et autres démons en tout genre... Cette façon de se traîner... de pointer une langue fourchue... Dire qu'il avait des détraqués pour trouver ces créatures à leur goût ! Un chien, pas trop gros et amical, voilà qui ressemblait davantage à l'idée que le prêtre se faisait d'un animal de compagnie digne d'affection...
« Ton maître m'a parlé d'un objet à récupérer dans la cité de Shumir »
Himp fit un bond précautionneux de côté afin d'éviter le brisbris qui, Mitra sait pourquoi, s’était pris d'affection pour le prêtre maladroit et, le couvant d'un regard adorateur, rampait à ses côtés depuis déjà une bonne lieue.
« Et où se trouve cette cité ? Je rêve de quitter cet enfer de caillasses rouges où hormis des scorpions et des cailloux, rien ne semble vouloir pousser ! »
Zgavier, le regard perdu dans la ligne d'horizon qui se confondait avec les canyons dont la teinte ocre contrastait violemment avec l'azur du ciel qui s'assombrissait au fur et à mesure que la journée s'étirait grogna.
« Je suis peut être trop stupide pour parler avec un grand prêtre et... les mots dont il m'a farci la tête se sont évaporés encore plus vite que le reste de notre provision d'eau que tu as malencontreusement renversé en chemin... Mais je suis encore capable de trouver mon chemin dans cette vaste plaine désertique de Shem... »
Les ombres du cirque rocheux dans lequel s'était engagées les deux frères s'allongeaient à vue d’œil. Depuis leur naufrage, à l'exception des cobras et des scorpions, ils n'avaient rencontré âme qui vive...
Zgavier évaluait à plusieurs journées de marche le trajet à parcourir jusqu'à la cité de Shumir dont la route passe entre Akkaria, la ville aux portes d'ivoire et Eruk, farouche citadelle frontalière avec le royaume de Khot.
L'archichancelier lui avait conseillé de laisser le Styx sur sa droite, ce qui arrangeait bien le conquérant qui n'avait aucune envie de croiser les créanciers Stygiens qui avaient la fâcheuse tendance à réclamer leur dû...
La nuit violette étendait désormais son manteau au dessus des roches. Zgavier, retrouvant les réflexes de son éducation cimmérienne localisa une anfractuosité susceptible de leur offrir un gîte pour la nuit.
« Par Crom... La nuit s'annonce plutôt fraîche... Je crois que nous ne risquons rien à allumer un feu... Au boulot Himp, va me ramasser ce bois mort.. »
Le prêtre traîna les pieds en direction des ombres blanchâtres.
« Pff... Et c'est à moi de faire les basses besognes... »
Zgavier alluma une belle flambée et observa les étoiles qui piquetaient le manteau de la nuit, comme autant de diamants scintillant qu'aucun aventurier ne pourrait jamais décrocher.
« La lune n'est pas encore levée, petit frère... »
Himp, rendu d'autant plus maussade qu'il avait l'estomac dans les talons et était pris d'une irrésistible envie de dévorer une tourte aux poivrons du Poitain grogna
« Elle ne se lèvera pas de sitôt... Tu ne te rappelles donc pas les leçons de notre magister ? »
Plongé dans ses souvenirs, Himp entendait la douce voix du vieil homme qui patiemment avait enseigné les mystères de l'univers à deux petits garçons, l'un blond et rêveur, l'autre brun et ardent.
« La Lune est une ancienne disciple de Mitra qui avait reçu pour mission du Dieu de Lumière d'illuminer le domaine de la nuit. L'astre servit fidèlement son dieu jusqu'au jour où elle tomba amoureuse du Soleil, le guerrier de Crom... Nuit après nuit, elle se fit la plus belle pour son amant, gonflant de plus en plus sa robe de lumière et d'argent. Mais sa coquetterie fut sans effet et elle ne put jamais conquérir le cœur du chevalier rouge qui préférait prodiguer ses caresses à la Terre..
Alors, de chagrin, la Lune abandonna le ciel des hommes, les plongeant dans une ère de sombres terreurs, l'ère de la Lune Noire »
Zgavier, ébauchant les différents visages de l'astre nocturne dans le sable murmura :
« Je me souviens... Contemplant le chaos et les cataclysmes engendrés par la fuite de la Lune, Mitra accompagné de Crom est parti dans les Ténèbres à la recherche de la belle disparue...
A force de cajolerie, les dieux sont parvenus à convaincre la Lune de reprendre sa place parmi les étoiles, d'illuminer les hommes de sa lueur d'argent et de repousser à jamais l'ère de la Lune Noire.
La Lune accepta en posant une condition : Qu'elle puisse nuit après nuit arrondir son beau manteau de lumière et, ceci fait, quitter le ciel pour partager une nuit avec son bien aimé...
Mais les dieux avaient sous estimé la jalousie de la Terre... L'horrible mégère n'acceptait pas de partager son chevalier, ne serait ce qu'une nuit par mois...
Aussi, à chaque fois que le soleil s'éloigne un peu trop d'elle, la Terre évoque l'ère de la Lune Noire... Engloutissant dans son manteau de ténèbres la lune ronde. La jalouse souille de sang le blanc manteau de la lune... Et ceci fait, elle plonge les hommes dans les affres de la Lune Noire »
Songeur, le conquérant resta un long moment sans parler, attisant les braises rougeoyantes du foyer, créant tout un peuple d'ombres dansantes sur les parois rocheuses.
« Y a pas à dire. Les gonzesses entre elles... je connais rien de plus mauvais.... »
Les ténèbres étendaient insidieusement leurs silhouettes sombres autour des deux frères... Les ombres grandissaient et transformaient les rochers en autant de monstres aussi difformes que silencieux. Himp fixait les derniers charbons ardents dont les lueurs renforçaient plus qu'elles ne repoussaient l'obscurité qui les enlaçait.
« J'ai toujours cru que l'ère de la Lune Noire n'était qu'une fable pour effrayer les petits enfants... les hommes sur la galère m'ont rapporté les horreurs innommables que la dernière Lune Noire avait engendrées. Et l'Archichancelier a clairement mentionné la prochaine comme un terrible présage... »
Zgavier scruta avec appréhension la voûte étoilée qui lui parut soudain beaucoup moins inoffensive..
« Je ne sais pas pourquoi mais je ressens subitement le besoin de savoir quand cette fichue Lune nous jouera son mauvais tour... »
Himp, jetant un regard mauvais au brisbris qui s'était endormi non loin du feu, ignorant superbement les malédictions proférées par le prêtre, s'allongea sur le sol caillouteux.
« C'est pour cela que l'archichancelier souhaite que nous nous procurions l'un des sept Anticythères d'Hyboria. Avec un tel instrument, il nous sera possible d'étudier les phases de la douce dame des nuits et établir la date de la prochaine Lune noire... »
Himp sentait ses paupières alourdies de sommeil se fermer malgré lui... Il était si fatigué qu'il sentait que les rochers les plus durs seraient pour lui la couche la plus confortable qui soit...
De très loin, les échos de la voix du conquérant lui parvinrent.
La lassitude du prêtre était si grande que même la voix grondante de Zgavier agissait comme une berceuse à ses oreilles...
Il fallait accomplir un effort immense pour donner du sens aux inflexions graves...
« Je propose que l'on établisse des tours de garde... C'est toi qui commence !»
Les rétines desséchées de Himp contemplèrent rageusement le large dos de Zgavier qui ronflait déjà comme un bienheureux.
- - -
...A SUIVRE...